Hugo Clément du Quotidien
C'est l'histoire d'un grand foutage de gueule. L'histoire de dominants, de diplômés de grandes écoles, d'héritiers, de dignes représentants de l'élite française. L'histoire de tous ces gens qui vous prennent pour des idiots. Ils s'appellent Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy, Jean-Christophe Cambadélis, ou Florian Philippot. Peu importe la couleur politique. Ils usent et abusent de l'arme la plus efficace du moment : le discours anti-élites.
En tant que journaliste de télévision, passé par une grande école de journalisme, fils de profs, vivant dans le centre de Paris, je fais sans aucun doute partie de l'élite, version média.
Mais il faut dire la vérité. Le discours anti-élites est une brillante invention… des élites. C'est du génie.
On peut, comme Nicolas Sarkozy, avoir grandi dans les quartiers chics de Paris, avoir été maire de Neuilly-sur-Seine, être marié à une artiste multimillionnaire, avoir pour ami un milliardaire qui nous prête son yacht pour les vacances, avoir été Président de la République vivant dans un palais, bref : cocher toutes les cases de l'ultra-élite bourgeoise et, dans le même temps, se présenter comme le candidat du peuple en attaquant "les bien pensants", "l'élite pour qui tout va bien".
On peut avoir tout hérité de son père : l'argent, le pouvoir, le parti, et dans le même temps, attaquer le "système". Ce "système" qui a toujours favorisé et qui favorisera toujours ceux qui ont, et ceux qui savent. Ce "système" qui a toujours favorisé et favorisera toujours les riches héritiers comme Marine Le Pen.
On peut, comme Florian Philippot, avoir fait l'ENA, être passé par HEC, avoir été haut-fonctionnaire, avoir le parcours classique de l'élite technocratique, être le portrait robot de ceux qui dirigent la France depuis 60 ans et, dans le même temps, dénoncer "la caste au pouvoir". Mais la caste, c'est aussi lui.
On peut, comme Jean-Christophe Cambadélis, être un homme politique professionnel depuis près de 40 ans, qui n'a jamais vraiment travaillé en dehors d'une organisation ou d'un parti, et, dans le même temps, fustiger "le système, l'oligarchie, l'aristocratie". Tiens, l'oligarchie, c'est quoi ? "Forme de gouvernement où le pouvoir est réservé à un petit groupe de personnes qui forment une classe dominante". Cambadélis contre l'oligarchie ? Il est, avec ceux cités plus haut, l'incarnation de l'oligarchie.
Il ne faut pas se leurrer : la quasi totalité de la classe politique actuelle est le produit d'un système de domination et de reproduction sociale contrôlé par et pour les élites. Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen, Florian Philippot, Jean-Christophe Cambadélis et des centaines d'autres en font partie. Ce sont même de bons éléments de l'élite. Des élites successful qui ne sont là où elles sont que parce qu'elles ont suivi habilement un des parcours proposés aux élites.
Vous avez remarqué ? Jamais de noms, d'identité précise, toujours de l'abstrait : LE système, LES élites, LES bobos, LES bien-pensants. Donner une identité ouvrirait la possibilité d'une riposte, d'une défense, bref d'une embrouille dans un discours qui doit être le plus simple et manichéen possible. Rester vagues, à coups de "les", "eux", "ils", c'est permettre aux gens qui écoutent ou regardent de ranger qui ils veulent dans ces catégories, de ne contredire aucune conviction, de ne vexer, de ne brusquer personne tout en donnant l'impression de secouer "ceux d'en haut". En fait, ils ne secouent personne, car ils ne désignent personne. Du vent. Du faux courage. S'ils désignaient, ils devraient se désigner eux-mêmes. Et ils le savent.
Souvenez-vous en pour la prochaine fois. Quand vous entendrez un homme ou une femme politique attaquer "le système", "les élites", "la caste" ou "les bien pensants", soyez-en sûrs : il/elle se moque de vous.
On peut difficilement lui donner tort
_________________ Milliardaire à mi temps.
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